Des chercheurs peuvent-ils créer un virus dangereux en laboratoire et publier ensuite leurs recherches ? La question, récurrente, est cette fois posée par les travaux d'une équipe néerlandaise du centre médical Erasmus de Rotterdam, qui ont conduit à l'émergence d'un supervirus grippal, aussi pathogène que celui de la grippe aviaire H5N1 - mortel dans 60 % des cas - et aussi contagieux qu'un virus grippal saisonnier.
Ron Fouchier et ses collègues, qui ont soumis leur manuscrit à la revue Science, attendent le verdict du NSABB, un Comité américain consultatif sur la biosécurité. Ses experts, dont l'avis est généralement suivi, doivent se prononcer courant décembre et autoriser ou non la publication, en fonction du risque de bioterrorisme. Mais les récentes déclarations de Paul Keim, président du comité, à Scienceinsider (revue en ligne du groupe Science), ont affolé la communauté scientifique et les médias : "Je ne connais pas d'autre pathogène aussi effrayant que celui-là. Comparé à ce virus, l'anthrax fait moins peur."
Pour l'équipe de Ron Fouchier, internationalement reconnue dans le domaine de la grippe, tout avait pourtant bien commencé. Son programme de recherche, qui vise à découvrir comment le virus de la grippe aviaire H5N1, jusqu'ici peu transmissible entre humains, pourrait acquérir cette contagiosité, a été autorisé par les autorités sanitaires néerlandaises.
"Partout dans la nature"
"La sécurité a été contrôlée par des experts internationaux, principalement parce que l'étude a été commandée par les Instituts nationaux de la santé américains", précise le centre Erasmus. Les chercheurs ont abouti au supervirus en effectuant quelques mutations sur des souches de virus H5N1, puis en les injectant à des furets, une espèce aussi sensible que l'homme aux virus grippaux. Les résultats ont été présentés en septembre lors d'un congrès sur la grippe à Malte, sans émotion particulière.
"Ce serait presque criminel de publier de tels résultats, estime le professeur Patrick Berche, coauteur en 2008 d'un rapport de l'Académie des sciences sur "Les menaces biologiques". Ce microbiologiste pointe le risque d'accidents de laboratoire, déjà survenus avec des virus comme ceux du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) ou de la grippe : "En 1936, un chercheur britannique a contracté la grippe par les éternuements d'un furet sur lequel il menait des expériences."
Pour le virologue Jean-Claude Manuguerra (Institut Pasteur), il est légitime qu'une équipe de recherche spécialisée se pose la question de savoir comment un virus comme le H5N1 peut devenir contagieux : "Mais, dit-il, avant de se lancer dans ce type de recherche, il est raisonnable de s'interroger sur deux points-clés : faudra-t-il supprimer le pathogène après l'expérience pour éviter les accidents, et pourra-t-on communiquer les résultats ?"
En tout état de cause, il semble peu inquiet du risque d'exploitation terroriste du virus hollandais. "Techniquement, ce n'est pas simple, il faut des outils moléculaires, un savoir-faire, les ingrédients de base", relève-t-il. "Je ne pense pas que les virus de la grippe soient un bon agent de bioterrorisme car ils sont trop variables et imprévisibles, ajoute un autre spécialiste, Claude Hannoun. De toute façon, des virus dangereux, il y en a partout, dans les laboratoires et dans la nature."
En 2005, la publication dans Science et Nature de la reconstitution en laboratoire du redoutable virus de la grippe espagnole n'avait pas fait autant de vagues.
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